« La Chose »

A la lecture de la petite annonce, il froissa le journal d’un geste rageur, manquant par la même de renverser sa tasse à demi pleine de café. Il se rencogna sur la banquette en skaï marronnasse du bistro, tout en fulminant intérieurement. Si « Delafon » croyait l’impressionner avec ce genre de mauvais jeux de mots, il avait tort !

Pour l’heure, « la chose » était parfaitement au chaud et à l’abri dans sa boite, elle même dans la poche intérieure de sa veste, juste à côté de son holster soigneusement garni…

Il n’aurait jamais dû accepter de le rencontrer auparavant, en même temps avait-il eu le choix ? Il laissa échapper un soupir de frustration et d’énervement tâtonnant machinalement à la recherche de son paquet de cigarettes, oubliant qu’il avait décidé de cesser de fumer bien des semaines auparavant. Frustré il termina hâtivement son café tout en laissant son regard clair, que certaines jugeaient des plus séduisants, errer sur les quelques piétons qui se hâtaient sur le trottoir, cramponnés à leurs parapluies comme si leur vie en dépendait !  Malgré lui il sourit. Si seulement sa propre vie était aussi simple…

Laissant quelques pièces de monnaie sur la table, il se leva avec cette souplesse inconsciente et ces gestes mesurés qui faisaient que nul , depuis bien longtemps, ne l’appelait plus par son prénom, Jacques, mais par ce surnom « Jaguar », acquis jadis dans l’armée, au temps où il pensait que là était sa solution et son but.

Relevant le col de son imperméable, il ouvrit la porte qui carillonna mollement et sortit sous la pluie froide et maussade. Il n’avait pas fait trois pas, qu’une voix sèche qu’il ne reconnut que trop, claqua derrière lui.

– Oberman !

Inconsciemment il se raidit et serra les mâchoires. Ne serait-il jamais libéré de tout ça ?

A contre cœur il pivota lentement et fit face à l’homme qui l’avait interpellé. Ce dernier, quinquagénaire aux cheveux à peine grisonnants, ne semblait rien avoir de particulier hors peut être ce regard glaçant d’oiseau de proie. « Jaguar » dans une sorte de réflexe conditionné qui l’agaça et lui fit peur, répondit comme jadis :

– Oui monsieur !

L’autre réprima un demi sourire, qui acheva de l’énerver tout à fait.

– Venez donc bavarder deux minutes, ma voiture est là.

Réprimant sa première impulsion de s’enfuir à toutes jambes, « Jaguar » haussa une épaule faussement indifférente et s’engouffra dans la sombre limousine aux vitres fumées, qui semblait s’être matérialisée sur la chaussée.

Avec une décontraction trompeuse, il se laissa aller sur la banquette en cuir, jetant un coup d’œil au chauffeur.

– Tiens Klaus… Tu as oublié ton képi ? Dommage sans lui, il te manque un je ne sais quoi… Un peu comme un chimpanzé sans sa banane ou…

– Ca suffit Jaguar ! Coupa sèchement le quinquagénaire d’un ton cinglant, alors qu’il venait juste de prendre place à côté de lui, refermant la portière de la voiture  dans un claquement feutré, tout en le fustigeant de son regard froid et impitoyable.

– Vos plaisanteries ne m’amusent plus depuis bien longtemps ! Venons en au fait. Savez-vous où est « la chose » ?

Encore une fois « Jaguar » regretta l’aide d’une cigarette dont le tabac aurait peut être empêché son cœur de battre si vite. Il s’exhorta au calme, et sans rien laisser paraître, il lâcha :

– Quelle chose ?

– Ne jouez pas au con avec moi ! Je connais tous vos trucs ! C’est moi qui vous ai formé ne l’oubliez pas si vite !

– Je ne pourrai l’omettre, monsieur… Ricana-t-il avec plus d’ironie qu’il ne le pensait. Mais je ne vois absolument pas de quoi vous parlez !

L’autre blêmit de rage contenue :

– Jaguar… Vous travailliez pourtant pour le professeur D’Alembert non ?

Il hocha la tête en signe d’assentiment, sans répondre. Evidemment qu’il travaillait pour D’Alembert ! Tout le monde le savait ! A l’époque où il avait pensé que ce  serait une heureuse idée de raccrocher des missions spéciales, trop spéciales pour la plupart, il avait trouvé ce boulot comme garde du corps. Il avait pensé que cela lui conviendrait. Il avait espéré que sa vie prendrait une tournure normale, et passé un moment c’est ce qu’il avait cru. Il avait même songé à acquérir un chien, un bon gros qui bave et qui l’aurait suivi partout. Un chien étant somme toute, un bon début de cellule familiale non ? Puis D’Alembert avait été assassiné et depuis ses rêves et ses illusions de vie rangée s’étaient envolées. A présent il songeait juste à survivre et surtout à protéger « la chose », puisque c’est tout ce qu’il pouvait encore faire.

– Vous étiez là lorsque le professeur est mort, n’est ce pas ? Insista l’autre d’un ton féroce.

Il fixa son regard gris dans celui de son ancien supérieur tout en faisant :

– Non monsieur ! C’était mon jour de repos.

Ce qui n’était pas réellement un mensonge, une demie vérité en quelque sorte, car cela aurait du ou aurait pu être un jour de congé, sauf que tout le temps qu’il demeura près du professeur il ne s’accorda aucun moment de répit. Depuis que ce dernier avait eu ses étranges menaces de mort s’il ne cessait ses recherches, il vivait dans la peur, non de mourir, mais de ne pouvoir mener à bien son projet. Alors il s’était tourné vers « Jaguar » et l’avait engagé, et celui-ci était devenu son ombre. Tout était simple, sauf sa mort, évidemment. Mais même lui n’avait pu empêcher quelqu’un de glisser un poison puissant dans quoi ? Sa tasse de thé ? Sa nourriture ? Il l’ignorait encore, mais il trouverait, il l’avait juré.

– Quoi ? Vous voulez me faire croire que vous ne savez rien ?

– Je ne veux rien vous faire croire du tout monsieur, je vous dis ce qui est ! Lorsque j’ai trouvé le professeur dans son bureau,  il était déjà mort.

Là encore c’était un demi mensonge, qu’il assena avec une force de conviction qui ne le fit à aucun instant ciller. Oui il avait bien trouvé le professeur dans son bureau, il avait même entendu sa chute, lourde et brutale sur le parquet. Il s’était précipité, sauf que D’Alembert n’était pas encore tout à fait mort, il avait eu le temps de lui parler et de le supplier de sauver « la chose », avant de lui donner d’ultimes recommandations et de s’éteindre dans un gargouillis inaudible, là sur ses genoux.

– Son bureau, son laboratoire ont été fouillé et nulle trace de « la chose » ! Pouvez vous m’expliquer ça ?

Il leva un sourcil interrogatif et plus naïf que ce qu’il pouvait être en réalité, tout en faisant :

– Aucune idée monsieur…

– Où rangeait-il « la chose » d’ordinaire ?

– Je ne sais même pas de quoi vous parlez ! Vous savez le professeur D’Alembert n’avait pas pour habitude de discuter avec moi de ses recherches ! Vous devriez plutôt interroger son assistant, moi je n’étais après tout que son garde du corps.

L’autre fulmina, et jeta d’un ton grinçant :

– Excellente suggestion Jaguar ! Mais figurez-vous qu’il a disparu cet assistant, nous le recherchons mais sans trop d’espoir ; vfg peut être a-t-il quelque chose à voir avec la mort de D’Alembert, quel est votre sentiment là dessus ?

« Jaguar » frémit sans cependant rien laisser paraître. L’assistant ? Disparu ? Tiens première nouvelle ! Il se souvenait parfaitement de lui, comme d’un être falot et timide mais qui s’animait sitôt qu’il parlait des recherches qu’il menait avec le professeur. Son regard derrière ses lunettes de myope, devenait tout soudain vivant et plein d’entrain et sa voix même s’affirmait jusqu’à perdre son bégaiement craintif. C’est lui qui lui avait tout expliqué sur « la chose », non D’Alembert. Il avait du mal néanmoins à l’imaginer en tueur froid et sans scrupule, espion ou traître, c’était très déroutant. Pourtant qu’il se soit enfui ne pouvait guère signifier autre chose.

Cette affaire décidément prenait-une tournure de plus en plus étrange et complexe.

– A présent si j’ai répondu à toutes vos questions, puis-je y aller monsieur ?

– Vous semblez bien pressé…

– Bien sûr monsieur, je dois de toute urgence m’inscrire à l’agence pour l’emploi, je viens de perdre mon boulot après tout ! Et c’est ce que je m’apprêtais à faire lorsque vous m’avez si aimablement invité à cette discussion, maintenant si vous permettez…

L’autre fit un signe discret au chauffeur qui déverrouilla les portières, tout en lançant toutefois d’une voix glaciale, alors que « Jaguar » posait sa main sur la poignée de la porte.

– Ne vous méprenez pas Jaguar, je vous ai à l’œil…

Avec un soulagement certain, il resta sur le trottoir dégoûtant de pluie, regardant un instant la lourde limousine démarrer dans un feulement assourdi de son moteur surpuissant. Haussant une épaule irritée, il se détourna et commença à remonter l’avenue de sa longue et souple foulée, faisant gicler l’eau sous la semelle de ses chaussures trop fines, lui faisant un instant regretter ses lourdes rangers.

Pour l’instant son problème immédiat était de prévoir quoi faire avec ce « Delafon ». Impossible de lui remettre « la chose » bien évidemment. Impossible de substituer non plus une autre « fausse chose », la supercherie se verrait à la seconde même où on ouvrirait la boite. Que faire ? Il ne lui restait que deux jours pour trouver une réponse, puisque « Delafon », soit gourmand soit aux abois, avait avancé d’un jour le rendez vous qu’il avait si difficilement négocié.

Tout à coup, contre son flanc, il sentit la légère boite s’agiter, et un irrépressible frisson de peur lui remonta le long de l’échine. Il s’efforça au calme, se rappelant les ultimes paroles de D’Alembert. « La chose » avait faim, il lui fallait trouver de la nourriture afin de la satisfaire. Mais pas ici. Il jeta un coup d’œil nerveux aux alentours, puis héla un taxi qui stoppa dans un imperceptible crissement.

Il se jeta à l’intérieur, soulagé et effrayé tout à la fois. Il lança une adresse qui laissa le chauffeur dubitatif mais qui, blasé, ne fit aucun commentaire. Après tout si ce grand gars en impeccable costume voulait se rendre dans ce type de quartier c’était son affaire, pas la sienne !

Vingt minutes plus tard, le taxi le laissait sur les quais abandonnés d’une ancienne usine de dragage. Une seconde il observa les phares arrières du taxi disparaître dans le clair obscur de la nuit tombante, avant de s’avancer résolument vers l’arrière des bâtiments. Par chance la pluie avait cessé. Il enjamba détritus, ferrailles et autres rebus de la civilisation, avant de s’enfoncer un peu plus derrière les hautes bâtisses qui avaient été, en leurs temps, des ateliers de stockages. A présent obsolètes depuis qu’il était interdit de draguer le fleuve, elles n’étaient plus que le refuge des chiens ou des chats errants, et parfois de quelques junkies en mal de squat.

Repoussant fermement quelques opulents ronciers, la seule nature qui pouvait encore s’épanouir en ces lieux, il grimpa souplement sur un remblai et scruta les alentours, laissant son instinct prendre le dessus sur sa réflexion. Ses sens aux aguets, il attendit quelques minutes encore, alors que la boite frémissait de plus en plus impérieusement. Finalement rassuré, il attrapa la boite dans sa main, sans trembler mais non sans un instant inquiétude, qu’il refoula et s’efforça de juguler. Entre ses doigt la boite brilla d’un reflet métallique dû à l’alliage spécial dont elle était constituée, seule barrière physique capable de contenir « la chose ». L’assistant du professeur lui ayant narré avec forces  détails, combien il avait été difficile d’imaginer ce métal. Ce qui, à l’époque ne l’avait guère passionné, il l’avouait franchement !

Il était là, la boite en acier qui n’en était pas, à la main, pas encore très résolu à l’ouvrir, cependant, crispant les mâchoires il retira le couvercle d’un geste ferme et assuré : advienne que pourra.

Lové sur un reste de coton qu’elle n’avait pas dévoré ou pas jugé à son goût, s’étirait « la chose » dans sa toute stupéfiante insignifiance. Comme toujours, il eut du mal à croire que ce petit bout de rien, puisse receler une telle puissance destructive. Il laissa fuser un léger soupir, avant de poser la boite sur le sol . « La chose » en elle même n’avait nul aspect féroce, c’était juste une grosse chenille dodue et velue, dont les anneaux grassouillets, ondulaient en jetant de jolies reflets mordorés. Sa couleur à prédominance de vert semblait presque factice, alors qu’une long appendice caudal improbable et violet en terminait une extrémité, l’autre étant occupée par une bonne tête ronde aux immenses yeux rouges. Une multitude de petites pattes s’agitaient afin de porter le corps rebondi, tandis qu’une grosse bouche circulaire s’ouvrait sporadiquement, laissant entre apercevoir quelques rangées de dents minuscules. Robe 14, puisque telle était son nom, n’hésita pas une seconde et agitant ses petites pattes, elle s’élança hors de son abri aussi vite qu’elle pu : elle était affamée !

« Jaguar » la regarda grimper à l’assaut d’un muret, non sans qu’un frissonnement de dégoût le saisisse. Une fois encore il tâtonna à la recherche d’un hypothétique paquet de cigarette et jura sourdement, maudissant le jour où il avait eu ces lubies de vie saine et rangée ! Ne préférant pas savoir à quoi se livrait l’effarante bestiole, il fixa son regard clair sur les eaux calme du fleuve, qui imperturbables et immuables, s’écoulaient sans heurt. Il entendait des bruits de chute et des couinements qui ne lui disaient rien qui vaille, pourtant il ne se retourna pas. Assister au dîner de la bestiole était son dernier souhait ! Le froid le saisit. Il fourra ses mains dans les poches de son long imperméable et attendit encore quelques minutes.

Finalement il se retourna lentement, les sens aux aguets, et siffla doucement une note particulière. Emergeant d’un nuage de poussière acre, Robe se trémoussa vers lui, nettement moins vite qu’auparavant il est vrai,  et sans plus de difficulté réintégra sa boite. Ses yeux rouges clignotaient de contentement et Jaguar s’attendit presque à l’entendre roter. Délicatement il reposa le couvercle, alors que la grosse chenille s’étirait et semblait se préparer au sommeil, avant de la remettre dans la poche de sa veste. Il descendit de son tas de remblai, quelque part satisfait d’avoir réussi à nourrir le monstre sans trop de mal et surtout sans trop de casse.

D’une allure plus rassérénée, il gagna la route et marcha quelques minutes avant de descendre dans une bouche de métro. Il laissait derrière lui en lieu et place d’une friche industrielle, un bizarre no man’s land, de murs rongés et de bâtiments écroulés… Dans la poche de son costume, la boite bizarrement ne pesait pas plus qu’auparavant. Il refusa néanmoins de s’appesantir sur ce phénomène, auquel de toute façon il ne comprenait rien et qui ne le déconcertait que trop.

Il sortit du métro en centre ville, ne sachant vers où se diriger : vers son appartement ? Hors de question il était surveillé depuis la mort du professeur, non seulement par les services auxquels il avait jadis appartenus, mais aussi par d’autres factions dont devait faire parti ce « Delafon », auxquels il n’avait pas envie de se frotter tout de suite. Allons un hôtel irait tout aussi bien, il ne s’était pas embourgeoisé au point de regretter sa brosse à dents ! Mais avant il s’octroierait un bon repas, apte à lui remettre les idées en place.

En sifflotant presque gaiement il traversa la vaste place, au centre de laquelle trônait une statue équestre d’une Jeanne d’Arc pourfendant les anglois. Sans hésiter il se dirigea vers un petit restaurant situé dans une ruelle adjacente et en poussa la porte avec plaisir. Le serveur reconnaissant sa carrure et sa haute silhouette, s’avança vers lui en souriant :

– Ah bonsoir monsieur Oberman, venez donc !

Comme à son habitude il se dirigea vers une table située à l’angle de la salle, où il pouvait voir sans être vu. Une jeune femme y était déjà installée. Elle releva la tête dans un charmant nuage de cheveux blonds, sur lesquels les éclairages se jouaient en délicieux reflets, et posa doucement la carte qu’elle consultait quelques secondes auparavant. Elle lui renvoya un sourire à la fois rieur et enjoué, tout en lançant à mi voix :

– Asseyez vous donc… Jaguar !

– Qui êtes vous ? Gronda-t-il sourdement, sans cependant faire mine de prendre place.

Elle lui renvoya une moue quelque peu mutine et insolente, avant de murmurer :

– Discutons en devant un bon plat de moules, qu’en pensez vous ?

Elle fit signe au serveur et commanda d’autorité deux moules marinières et deux pichets de bière, avant d’éclater d’un rire qui lui sembla trop cristallin pour être honnête.

– Ne me dites pas que je vous fais peur ?

Il ôta son imperméable et le tendit au garçon, avant de se glisser sur la chaise faisant face à la jeune femme.

– Vous ne me faites pas peur, non, vous m’intriguez tout au plus.

– Oh je vous intrigue, serait-ce un compliment ?

Une fraction de seconde il engloba sa silhouette fine, son visage délicat, ses yeux dorés à peine soulignés par un discret maquillage,  sa bouche étirée en un sourire espiègle, ses gestes à la fois affirmés et sensuels. Avec une assez convaincante réussite il conserva un regard froid et jeta sèchement :

– Cela aurait pu, en effet, mais ce soir ce n’en n’est pas un, non.  Je voudrais juste savoir qui vous êtes et ce que vous faites ici.

– Mon nom ne vous dira rien, appelez moi Helena ce sera suffisant.

– Qu’est ce que vous voulez Helena ?

Elle se pencha un peu plus près de lui, si proche qu’il pouvait sentir l’odeur fruité de sa peau, tandis qu’une mèche de ses cheveux lui effleurait la main sans qu’elle sembla y prendre garde. Plus troublé qu’il ne l’aurait souhaité, il se carra contre le dossier de sa chaise tandis qu’elle chuchotait :

– Je veux ce que tout le monde veut en ce moment Jacques Oberman… Je veux « la chose ».

– Pourquoi pensez vous que je la détiens ? Pourquoi le professeur ne l’aurait-il pas plutôt confié à son assistant ? Pourquoi à moi, c’est illogique non ?

– Tout au contraire c’est tout ce qu’il y a de plus normal. Vous êtes si prévisible Jaguar…

Une brusque colère lui fit dangereusement luire les yeux d’un éclat métallique, tandis qu’il faisait :

– Que voulez vous dire ?

Elle lui renvoya un autre sourire malicieux dont elle semblait avoir le secret, tandis que le serveur posait devant eux deux assiettes pleines et fumantes.

– Allons ne vous vexez pas ! Comme tous les hommes vous êtes prévisible c’est tout ! Les chiens font toujours pipi sur les mêmes réverbères et les hommes fréquentent toujours les mêmes restaurants, c’est ainsi !

Il s’efforça au calme et ravalant sa colère, il tenta de jauger son adversaire. Qui était-elle ? Comment savait-elle que l’assistant du professeur n’avait pas « la chose » ? En additionnant un plus un il était toutefois simple de comprendre qu’elle ou bien ceux pour qui elle travaillait avaient kidnappé, interrogé voire certainement tué le pauvre garçon. Par déduction il était le seul à présent à pouvoir détenir la boite.

Buvant une gorgée de bière il lança :

– Pour qui travaillez vous Helena ?

Elle haussa les épaules dans un joli mouvement, avant de répondre :

– Peu importe, je ne travaille ni pour ce gouvernement, ni pour celui d’un autre pays, sachez seulement que je suis certainement votre seul recours mon cher.  Seul notre groupe pourra assurer la sécurité de « la chose », alors confiez là moi.

– Peut être, en effet, assurerez vous parfaitement la sécurité du Robe14, mais le monde sera-t-il en sécurité, lui ?

Lentement avec sa souplesse coutumière il repoussa sa chaise et se leva, non sans se pencher vers la jeune femme afin de murmurer :

– Merci pour ce délicieux moment Helena, mais ne comptez pas trop sur mon aide.

Récupérant son imperméable il s’en fut, mécontent, irrité et troublé : décidément beaucoup trop de monde était à ses trousses !

Etonnamment il s’endormit d’un sommeil de bébé, dans la chambre d’un petit hôtel sans prétention dans lequel il n’était jamais venu : que nul ne vienne lui redire qu’il était prévisible !

S’il n’avait été réveillé en sursaut par un bruit suspect, la nuit lui aurait semblait parfaite. Il se redressa d’un seul bond, son arme déjà à la main, alors  qu’une silhouette sombre pénétrait dans la chambre, en repoussant le vantail de la fenêtre. Effectuant un splendide roulé boulé comme au plus beau temps de ses entraînements, il bondit sur son nocturne visiteur et le plaqua au sol, pointant son arme sous sa gorge.

– M… Monsieur… Ob… Ob… Oberman !

Aux intonations bégayantes de la voix, « Jaguar », relâcha légèrement son emprise. D’une bourrade rude il mit l’inconnu sur ses pieds et tâtonnant à la recherche d’un interrupteur il alluma finalement l’électricité, avant de s’exclamer à mi voix :

– Eh ! C’est vous Raoul ? Mais qu’est ce que vous faites là ? Vous ne pouviez pas entrer par la porte comme tout un chacun ? Grommela-t-il en reconnaissant le jeune et timide assistant de D’Alembert, tout à coup fort heureux de le revoir. L’autre rajusta ses épaisses lunettes en tremblotant, tout en murmurant :

– Oui, oui c’est bien moi… je suis abominablement désemparé, je ne sais plus quoi faire… J’étais caché dans l’ombre lorsque vous êtes sorti de ce restaurant, et je… Je vous ai suivi. Aidez moi je vous en prie !

« Jaguar » remit en soupirant son revolver dans son holster, tout en remarquant :

– Pourquoi pensez vous que je peux vous aider ?

– Oh mais.. Mais si si… vous le pou…pouvez ! Vous êtes le… le seul à pou… pouvoir le faire ! Mais d’ab…d’abord co… comment va Ro…Robe ?

« Jaguar » ouvrit le mini bar et se servit un verre de whisky qu’il but sec, avant de répondre nonchalamment :

– Pourquoi voulez vous que j’aie cette satané horreur avec moi ?

– Pa… Parce que personne d’autre ne l’a ! Se récria l’autre, que la peur et la colère aidant oubliait de bégayer. Et que le professeur avait con… confiance en vous, c’est à vous qu’il l’a confiée ! Je ne la veux pas ! Je veux juste savoir comment elle se porte. Comment elle survit en dehors du labo’…

Après un instant de réflexion « Jaguar » haussa les épaules, tout en lançant :

– Oh et puis merde ! Oui j’ai cette bestiole, regardez par vous même.

Tout en parlant, il avait ouvert la porte de la salle de bains, soulevé le couvercle de la chasse d’eau des wc et attrapé la petite boite en métal qu’il avait soigneusement scotché.

– Oh mon dieu ! Vous… Vous êtes fou ! Elle ne supporte pas l’hu…l’humidité !

– Oui et bien c’était ça ou rien. Marmonna  « Jaguar » tout en ouvrant doucement la boite.

– Et voilà votre copine !

L’autre siffla quelques modulations, que la chenille sembla comprendre, car elle se redressa sur ses pattes arrières et le considéra de ses gros yeux rouges, avant de s’enrouler sur elle même dans son coton. « Jaguar » reposa précautionneusement le couvercle, tandis que le jeune assistant commentait avec enthousiasme :

– Elle va bien ! Elle va même très bien ! Vous avez vu, elle m’a reconnu ! Elle est merveilleuse n’est ce pas ?

Malgré lui, « Jaguar » frissonna, peu convaincu de trouver « la chose » autrement que répugnante. Tout à coup l’autre posa une main nerveuse sur son bras en s’exclamant :

– A-t-elle mangé ?

L’ancien garde du corps se contenta d’hocher la tête en signe d’assentiment, sans souhaiter entrer plus avant dans les détails. Car pour avoir manger ça elle avait mangé, une demie usine à elle toute seule, pas moins…

– Elle semble fatiguée vous ne trouvez pas ? Insista l’assistant avec une espèce d’inquiétude dans la voix.

« Jaguar » se contenta de grommeler vaguement qu’elle devait seulement être sur sa digestion, tout en passant son pantalon sous l’œil interrogatif de l’autre.

– Mais… Mais que faites vous ?

– Je m’habille, nous filons, si vous avez pu me retrouver les autres le peuvent aussi nous devons décamper et au plus vite.

Il acheva de boutonner sa chemise, passa son holster, attrapa sa veste, enfourna la boite dans l’une de ses poches intérieures, puis poussa le jeune assistant estomaqué dans le couloir.

– Mais… Où… Où allons nous ?

– Je ne sais pas, mais croyez moi on y va très vite ! Répondit-il tout en lançant des coups d’œil incisif autour de lui. Cependant, dans l’hôtel, tout semblait calme. Ils s’avancèrent en silence jusqu’à l’escalier de service, ignorant l’ascenseur, et descendirent jusqu’au rez de chaussée. Toujours personne. « Jaguar » sentait l’adrénaline battre dans ses veines, il était prêt à combattre et cela, comme jadis, ne lui posait aucun problème. Contre son épaule il sentait la silhouette falote et maigrichonne du jeune homme, frissonner de peur. Il poussa légèrement la porte qui donnait sur l’arrière du bâtiment, dans une ruelle étroite et peu éclairée. L’endroit idéal pour une souricière songea-t-il. Prenant une boite de conserve sur une étagère il la jeta sur les pavées où elle rebondit avec un bruit qui lui parut assourdissant. Rien ne broncha. Alors, son arme à la main, et suivit comme une ombre par le pâle assistant, il s’élança dans la nuit. Ils coururent jusqu’ à l’avenue la plus proche, où reprenant une marche normale, il laissa le jeune homme reprendre haleine. Pendant ce temps il réfléchissait à toute vitesse. Il ne lui restait plus que 48 heures avant l’expiration du délai donné par « Delafon », et il n’avait toujours aucun plan.

Entre deux halètements, le jeune assistant murmura :

– Ecoutez mon… monsieur Oberman, je vous en prie ne donnez pas Robe, vous ne pouvez savoir… C’est… L’avenir de la planète est peut être en jeu ! Ecoutez moi, s’il vous plaît… Une… Une amie de mes parents a une maison sur la côte, nous pourrions nous y rendre, nous y cacher, un moment, quelques jours, en attendant… Qu’en pensez vous ?

« Jaguar » le considéra quelques secondes avant d’approuver d’un hochement de tête, de toute façon avaient-ils une autre option ? Non.

– Ok, murmura-t-il d’un ton ferme, je connais un loueur de voiture, à quelques rues d’ici. Nous payerons en liquide j’en ai encore sur moi. Allons y !

Moins d’une heure plus tard ils sortaient de la ville au volant d’un coupé sport, tout ce qu’il restait à cette heure là ! Peu importait en réalité à « Jaguar », il conduisait nerveusement, heureux tout à coup d’agir et non d’attendre que les évènements le fassent pour lui. L’autre rencogné contre le dossier de son fauteuil, regardait défiler le paysage dans l’aube naissante. Puis il fit tout à coup :

– J’ai une théorie sur la mort du professeur…

– Laquelle ?

– J’ai analysé son thé et sa brioche, il n’y avait aucune substance toxique. Rien. Pourtant ce qui l’a tué est un poison qu’il a ingéré, et je pense sans trop me tromper, qu’il était déposé sur l’une des enveloppes. Il était justement en train de faire son courrier, vous vous souvenez ?

« Jaguar » approuva. Ce n’était pas si bête comme idée, plausible en tout cas.

– Mais qui aurait pu… Commença-t-il avant de se reprendre. Voyons qui avait accès au bureau du professeur, hors lui même, son assistant et… Il tourna un regard mitigé vers son interlocuteur.

– Que voulez vous insinuer ?

– Qui est entré dans le bureau de D’Alembert justement la veille de sa mort ?

Une étrange sueur froide l’envahit par degré au fur et à mesure qu’il entrevoyait la vérité :

– Vous voulez parler d’Anna ? Voyons c’est sa fille !

– Vous êtes bien naïf ! Vous refusez simplement d’avouer qu’elle s’est servie de vous !

Il crispa un peu plus ses mains sur le volant en jetant un juron entre ses dents. Il se rappelait la silhouette longiligne de la jeune femme, la longueur incroyable de ses jambes, la musique de sa voix et par dessus tout son parfum envoûtant. Elle avait une douceur exquise, et il s’était laissé séduire sans faire aucun effort afin de résister. A présent il comprenait bien trop tard qu’elle s’était joué de lui avec une aisance rageante. Il s’était fait avoir comme un bleu.

L’autre insista dans un espèce de bizarre sourire tout en ôtant ses lunettes :

– Aussi si vous autres mecs pouviez réfléchir avec votre tête plutôt qu’avec une autre partie de votre anatomie, nous n’en serions pas là !

Enlevant, perruques et lentilles de couleurs, l’assistant se métamorphosa tout à coup en Helena, sous l’œil effaré de « Jaguar ».

– Mais… Mais … Qu’est ce que c’est que ça ?

Elle éclata de son rire mutin, tout en arrangeant ses cheveux blonds, aplatis par le port de la perruque.

– Juste moi mon cher ! Vous n’avez donc jamais vu que j’étais une fille ? Rassurez vous et laissez donc cette arme à sa place, je ne vous veux aucun mal. Allez, je n’ai pas tellement plus changé que lorsque j’étais « l’assistant Raoul », non ?

Elle posa sa main sur son bras, tout en désignant une enseigne éclairé dans le lointain.

– Regardez, un resto route. M’offririez-vous un café, s’il vous plaît… Jacques ?

Il lui lança un regard en coin, encore trop médusé pour produire autre chose qu’un grommellement :

– Personne ne m’appelle comme ça… Marmonna-t-il non sans mettre son clignotant afin de gagner l’air de stationnement. Elle lui renvoya l’un de ses ravissants et pourtant horripilants sourires, tout en susurrant :

– E bien moi si !

Quelques minutes plus tard ils étaient assis chacun devant une tasse de café brûlant, que la jeune fille savourait les yeux mi-clos, avec des airs de chatte. A sa propre surprise et non sans agacement, il la trouva délicieuse. Elle lui jeta un coup d’œil plus acéré, tout en remarquant :

– Vous êtes encore en train de penser avec autre chose que votre tête, c’est une manie !

Il crispa les mâchoires, furieux, tandis qu’elle partait d’un brusque éclat de rire tout en murmurant :

– Allez, remettez vous !

Il refoula son indicible désir de l’étrangler, en disant :

– Qui êtes vous réellement Helena ?

– Que cela vous semble incroyable ou pas, je suis vraiment biologiste.

– Mais alors pourquoi ce déguisement absurde ?

Elle leva les yeux au ciel :

– A cause du professeur ! C’était un homme brillant et intelligent, mais hélas foncièrement misogyne ! Il refusait qu’une femme mette un pied dans son labo’ ! Pourtant il nous était fondamental de suivre ses travaux. Je fais partie d’un groupe actif d’écologistes engagés, vous devez déjà avoir du en entendre parler je pense, ce sont les Word-warrior’s. Etant la plus qualifiée pour cette mission, je fus admirablement acceptée par D’Alembert, après un simple et rapide « relooking ».

– Et que voulez vous exactement ? « la chose » bien sûr !

Elle approuva d’un simple sourire qui fit pétiller son regard doré :

– Oui  nous voulons le Robe14, mais absolument pas pour les raisons que vous imaginez. J’ai déjà éliminé la formule, aussi nous la voulons seulement afin de la mettre à l’abri de la convoitise de certains groupes terroristes ou militaires. Rien de plus. Nous agissons pour la planète. Nous sommes seulement des pacifistes.

Une fois de plus il fouilla machinalement dans ses poches, n’y trouvant que la boite en métal froid qui renfermait « la chose ». Il jura sourdement entre ses dents avant de faire :

– Et pourquoi avez vous besoin de moi ? Car vous avez besoin de moi n’est ce pas ?

– Tiens vous arrivez à penser avec votre cervelle . Vous êtes en progrès mon cher ! En effet j’aurai pu très facilement subtiliser la boite avec le Robe14, mais je vous l’ai dit, je suis une pacifiste, aussi au vu de tout ce qui semble nous courir après en ce moment, je pensais que s’assurer l’aide d’un homme tel que vous, pouvait être un atout majeur. Alors êtes vous prêt à m’aider ou souhaitez vous toujours négocier avec ce « Delafon » ? Voir la remettre à Anna ou à vos ancien petits camarades, pourquoi pas ?

Elle hésita une seconde puis murmura avec une sorte de douceur dans la voix :

– Ne voudriez vous pas devenir le gardien de mon corps ?

Il la fixa droit dans les yeux tout en manquant s’étrangler avec sa gorgée de café, avant d’éclater de rire :

– Dit comme ça je ne vois pas comment je pourrais refuser ! Mais ne nous attardons pas trop, venez, il est toujours possible que nous soyons suivis. Sommes nous encore loin de votre villégiature ?

Elle secoua négativement la tête tout en reposant sa tasse.

En effet moins d’une heure plus tard, ils garaient la rutilante voiture de sport devant un charmant cottage tout en pierre, faisant face à la mer. Claquant la portière derrière lui, il s’avança de quelques pas en faisant crisser les gravillons de l’allée, tout en admirant la vue éblouissante, qui s’étendait face à eux. Il se tourna vers Helena en s’exclamant :

– C’est magnifique !

Elle ouvrit la bouche pour lui répondre, lorsque tout à coup un bruit assourdissant résonna au dessus d’elle. Levant la tête, elle aperçut un énorme hélicoptère vert kaki, en approche. Trop stupéfaite pour bouger, elle eut l’impression que ses jambes étaient en plomb quand soudain une poigne rude la saisit par un bras et l’entraîna en courant. Elle faillit crier mais reconnaissant « Jaguar », elle s’efforça de le suivre. Sans trop savoir où ils allaient, ils coururent droit devant eux, hélas à seulement quelques centaines de pas s’étendait une impérieuse falaise au pied de laquelle la mer s’écrasait en rouleaux gris et furieux.

Impossible d’avancer ou de faire demi tour car plusieurs voitures dans des dérapages plus ou moins contrôlés venaient de  leur fermer toute porte de sortie.

« Jaguar » jura sourdement, tout en maintenant la jeune femme à l’abri derrière lui, dans un reflex de défense. Pendant que l’hélicoptère se maintenait en position stationnaire, plusieurs personnes émergèrent des voitures, dont une femme à la silhouette admirablement moulée dans un tailleurs beige. En l’apercevant,  Helena lâcha quelques grossièretés particulièrement imagées qui ne laissaient aucune part au doute, quant à ses sentiments envers elle !

– Anna ! Anna Fondale et… Monsieur ! Remarqua-t-elle à mi voix, avec un dégoût profond, tout en les regardant s’avancer vers eux. Elle sentit le dos de « Jaguar » se raidir, tandis qu’il glissait sa main sous sa veste et se saisissait de son arme.

– Allons ne faites pas les idiots ! Lança soudain d’un ton presque enjouée Anna Fondale, la fille du professeur. Vous ne pouvez vous échapper voyons. Même l’armée semble vouloir m’aider, n’est ce pas merveilleux ? Allez mon cher « Jaguar » soyez raisonnable, donnez moi donc cette « chose » et…  N’en parlons plus, et nous resterons bon amis, voulez vous ?

Il serra les mâchoires si rageusement que ses dents grincèrent. Paradoxalement sa colère le laissait très froid et tout à fait maître de lui. Avec calcul et objectivité il analysa leur situation : elle était… Pas terrible ! Brusquement une association d’idées se fit dans son esprit et il comprit tout.

– Vous êtes « Delafon » n’est pas Anna ? C’est vous qui avez tout organisé depuis le début, non ?

– Tiens vous êtes moins bête que je ne le pensais, ça m’étonne… Oui en effet j’ai tout calculé je savais que mon père vous confirait « la chose », il avait une confiance stupide en votre loyauté mais je savais que vous finiriez pas me la remettre. Et ce moment est arrivé. Donnez la moi. Tout de suite !

– Tout ce que je peux vous donner Anna, c’est du plomb ! Grinça-t-il d’une voix glaciale. Alors qu’Helena s’accrochait à son bras et s’écriait :

– Non je vous en prie ! Ne faites pas ça ! Donnez lui cette fichue boite et qu’on n’en parle plus !

Il la considéra une fraction de seconde, interloqué par sa réaction, lorsqu’elle lui fit un clin d’œil hâtif, tout en chuchotant :

– Je vous en prie Jacques, faites moi confiance, ouvrez cette boite et montrez leur ce qu’il y a !

Il ouvrit la bouche pour argumenter, réfuter, mais son regard doré, implorant, l’en empêcha. En soupirant il rangea son arme dans son holster et repêcha la boite dans l’une de ses poches. Il la sortit tout doucement et la tint devant lui, dans sa paume ouverte. A quelques pas d’eux, Anna et ses acolytes considéraient la scène et « la chose » avec fascination.

– Ouvrez là ! Ordonna cette dernière.

Helena approuva d’un simple mouvement du menton. Alors en tremblant quelques peu, le grand garde du corps souleva le couvercle. Cependant en lieu et place de la grasse et verte chenille, se trouvait là un splendide papillon aux ailes bleutés. Libéré de sa prison d’acier il battit des ailes, semblant tout heureux de leur bon fonctionnement. Puis brusquement il prit son envol, gracieux et léger, dans la brise marine.

Helena, trépigna de joie, tout en lançant :

– Voilà, votre arme c’est transformé en  machine à pollinisation ! Le robe14 n’est plus qu’un souvenir, il ne sera plus utile à personne !

Finalement les hommes des missions spéciales se saisirent d’Anna et des ses comparses et longtemps après que toute cette agitation se soit calmée, l’ex garde du corps et la jeune écologiste, restèrent ainsi, côte à côte à contempler le large. La première Helena rompit le silence :

– Comment avez vous deviné qu’Anna était ce « Delafon » ?

– Facile, Delafon était l’anagramme du nom de famille de son mari. Mais vous comment pouviez vous deviner que « la chose » s’était métamorphosée ?

Elle leva ses yeux dorés vers lui tout en lui renvoyant un vrai sourire, ni mutin ou ironique :

– Mais… Parce que les chenilles deviennent des papillons c’est dans l’ordre des choses, non ?

Elle hésita une seconde avant de murmurer :

– Croyez vous qu’il sera heureux en papillon ?

– En tout cas il fera moins de dégât !

Comme elle frissonnait dans l’air marin, il enleva son imperméable et le lui posa sur les épaules, tout faisant d’une voix soudainement très douce, tandis que ses yeux gris, pleins d’espoir, prenaient les teintes de la mer :

– Aimez-vous les chiens Helena… ?